Allée couverte de La Forge, Bretteville-en-Saire (septembre 2020)

Photo de l’allée prise par votre serviteur au péril de sa vie car juché au sommet d’un escabeau déployé pour l’occasion. On remarque sur le côté gauche de l’édifice, au second plan, les pierres du péristalithe encore en place (cf. définition infra, dans le corps du texte).

Dans un monde où sévit le Covid, un monde où les voyages ne sont plus qu’un doux rêve, un soupir, un monde où les Antipodiens marchent sur la tête, on (re)découvre ses trésors régionaux dont la variété étonne.

Bien cachée dans les hauteurs de la commune de Bretteville (Val de Saire, nord-est du Cotentin), l’allée couverte de « La Forge » est l’une des plus complètes structures mégalithiques du département de la Manche. Son plan la définit comme une sépulture à entrée latérale, et elle témoigne des compétences architecturales maîtrisées par les populations établies dans la région pendant le néolithique ; des populations très proches parentes de celles vivant en Armorique à la même époque.

Avec ses dimensions et son remarquable état de conservation, l’allée couverte de Bretteville demeure impressionnante malgré les nombreuses dégradations dont elle a été victime au cours des siècles. Elle a même échappé de peu à un débitage en règle par des carriers en 1905. Plus d’un siècle plus tard, des trous de barre à mine sont encore visibles par endroit qui rappellent cet outrage alors que son classement Monument Historique dès 1862 devait lui assurer protection.

Au premier plan, l’unique table de couverture taillée dans le granit

L’allée est sensiblement orientée nord/ouest – sud/est. Elle est longue de dix-sept mètres, haute d’un peu plus d’un mètre, et sa galerie intérieure a une largeur comprise entre 80 cm et un mètre. Son entrée latérale, quant à elle, est aménagée sur sa face ouest par deux pierres placées perpendiculairement à l’axe de la galerie. Un tel positionnement peut a priori sembler cohérent avec un culte des morts associé à la course du soleil et au couchant, même si nous ignorons tout des croyances que possédaient les bâtisseurs de ce monument.

Les archéologues appellent orthostates les pierres dressées sur chant qui constituent ses parois. On en compte neuf côté ouest, et seulement sept côté est. Quant aux tables de couverture, chacune pesant plusieurs tonnes, elles sont au nombre de huit, dont une seule – à l’extrémité nord/ouest – est taillée dans le granit, alors que le reste du monument est, lui, constitué de dalles soit de grès, soit de roches détritiques, autrement dit des conglomérats silicifiés de galets, de graviers liés par du ciment naturel (sable), le tout pouvant ressembler à un béton grossier contemporain.

Malgré son aspect conglomérat, c’est du solide…

Comme l’ensemble des structures du même type, l’allée couverte de Bretteville a été bâtie pour servir de sépulture à des membres que l’on suppose éminents de cette civilisation d’Europe occidentale et qui a précédé l’invasion des Celtes dans cette partie du continent. Pas question donc de potion magique pour soulever les pierres et les mettre en place… Les techniques de découpe, de transport comme de levage, employées par les ouvriers du néolithique restent de ce fait un mystère épais.

L’entrée latérale, ainsi que la séparation de la chambre funéraire et de son vestibule par une dalle septale servant de cloison, manifestent le soin apporté à la structure lors de son édification. Ces éléments d’architecture permettent d’émettre une datation, bien que très relative, pour sa construction qui, selon les estimations, serait comprise entre 3500 et 2800 avant notre Ère. Par son ancienneté, l’allée couverte de la Forge à Bretteville est donc très modestement l’équivalent de notre pyramide à nous qu’on a dans le Val de Saire, et le Mont-Saint-Michel fait bien pâle figure à ses côtés. D’ailleurs, le Mont est en Bretagne comme chacun sait…

Où l’on aperçoit l’escabeau qui branle oublié dans l’arrière-plan de la photo.

Quoi qu’il en soit, il est fermement établi que ce que l’on aperçoit de nos jours de cette sépulture n’en constituait à l’origine que le squelette interne. En effet, la structure était très vraisemblablement recouverte par une enveloppe de terre ou de pierres pour former un tumulus, un tertre ou encore un cairn très allongé qui dissimulait les dalles que nous admirons aujourd’hui. D’ailleurs, quelques éléments du péristalithe sont encore en place, visibles sur le pourtour de l’allée. Ce péristalithe servait notamment à délimiter et à retenir l’imposant volume qui recouvrait l’édifice mais qui a disparu depuis longtemps.

Lors des fouilles archéologiques réalisées entre 1969 et 1972, à l’issue desquelles une restitution a été engagée, quelques artefacts du néolithique final (second millénaire avant notre ère) ont pu être mis au jour par l’équipe dirigée par Raoul Lemière : des silex taillés, des pendeloques en pierre dure servant de parure, des fragments de poterie, mais aucun ossement à se mettre sous la dent (lacune peut-être due à l’acidité des sols qui a empêché leur conservation). L’ensemble de ces découvertes a été déposé au Musée Emmanuel Liais de Cherbourg, lequel est malheureusement fermé depuis début septembre 2020 pour de lourds travaux devant durer plusieurs années. Pour les observer, il faudra donc repasser… Mais nul doute que l’allée couverte sera encore debout lorsque le musée rouvrira.

Le site est régulièrement entretenu et débroussaillé
Galerie intérieure. Au bout du tunnel, toujours la lumière tu trouveras…

Enfin, avec le temps et avec l’exposition des pierres à la lumière comme à l’humidité ambiante réputée tenace dans la région, une multitude de lichens de différentes espèces, aux noms imagés (Rhizocarpon, Physcia, Lecanora muralis, etc.), a prospéré sur les parois de l’édifice. Impossibles à dater de visu, certains morts, d’autres encore bien vivaces, ils recouvrent la structure de leur thalles indifférenciés, comme un fin voile craquelé, ici verdâtre, là blanchâtre, qui s’est lentement étendu en remplacement de l’épaisse couverture que les hommes avaient cru bon de placer sur le squelette de pierres pour le dissimuler.

Si l’allée couverte ne renferme plus aucun trésor, aucun ossement de prince ou de princesse néolithique, elle ne subsiste plus désormais que comme le singulier et spectaculaire réceptacle d’une colonie de champignons parasités par des algues qui s’étendent inexorablement ; « l’invasion des profanateurs de sépultures »…

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